L’art, ça sert à quoi ?

Question d’importance, puisqu’elle est présente dans l’inconscient collectif de notre société consumériste, laquelle se fait fort, vis à vis du geste artistique, soit de lui attribuer une valeur marchande qui corresponde à ses critères d’éligibilité, soit de l’ignorer avec le mépris accordée à la chose inutile ne produisant aucun profit immédiat.

Un ami, appréciateur d’art, en particulier de musique et de littérature, m’as transmis ce beau texte d’olivier Rollin, que je me permets de reproduire ci-après, en me demandant si je serais d’accord pour définir l’artiste comme un « créateur d’intensité ». Comme nous échangeons souvent tous deux sur le thème de l’art et de la création, je lui réponds par ce texte (à la suite du premier…) tentant d’exprimer mon sentiment sur le sujet :

« L’art est certainement (entre autres choses) une tentative pour exprimer l’intensité. Pour reproduire, éterniser l’intense. L’intensité n’est pas notre fort, nous ne sommes pas des fabriques d’éclairs. Pour dire tout ce qui est basses tensions, de l’ordre de la durée, non de la crise, on a des tas de protocoles, de mémoires, de procès verbaux : immenses archives de l’ennui, monotones modes d’emploi de la machine humaine. Mais la douleur, la sidération amoureuse, la jouissance, il n’y a en effet que l’art pour tenter de dire ça. Pour reprendre des catégories barthésiennes, l’art a partie liée avec la jouissance, c’est-à-dire “ ce qui met en état de perte, ce qui déconforte ”. En termes batailliens, avec la dépense. L’art cherche le “ point d’ébullition ” par quoi la “ sauvage destinée humaine ” communique avec le cataclysme solaire, la dépense astrale. Le problème avec la littérature, c’est-à-dire l’art des mots, c’est que ces intensités fulgurantes, justement, “ on n’a pas de mots ” pour les dire. Cela suscite et cela paralyse les mots, ça vous la coupe, comme on dit. C’est comme un cri suspendu dans un cauchemar, “ le Cri ” de Munch. Donc la littérature, me semble-t-il, est une tentative (toujours ratée, nécessairement) pour exprimer l’intense, et par exemple ça, en effet, la jouissance, ou avant la jouissance cette révélation stupéfiante du corps aimé, “ qu’on n’oubliera jamais même dans l’au-delà de la mort ”, dit Jouve, ou avant même la révélation du corps, l’apparition d’un visage, “ un éclair puis la nuit ”, la passante Baudelairienne, ou la grâce inouïe d’un genou, d’une cheville, d’une taille. Ou encore le corps mort, et par exemple la mort du corps aimé. Horreur, joie extrêmes. Nos vies sont gouvernées par ça, sous l’empire de ces instants foudroyants. Un des plus hauts défis que peut s’assigner l’écriture, oui, c’est d’essayer de rendre compte de cet empire. »  Olivier Rollin

Je trouve cette expression « créateur d’intensité », très belle… Sans doute l’artiste, justement parce qu’il est considéré par une grande partie de la société comme inutile, cherche (par l’affirmation de cette inutilité apparente) à mettre en défaut celle-ci dans ce qu’elle a de laborieusement procédurière, à alerter ceux qui y serait encore sensible (ou qui pourrait le redevenir…) sur l’importance immense de ces moments sublimes ou un sentiment d’une grande profondeur vient à faire chavirer le cœur de l’être humain. Profondeur certes (car il faut parfois creuser loin pour briser la gangue des protections illusoires, remettre en question ce besoin de sécurité qui a pour objet de calmer la peur latente mais ne peut en réalité être assouvi), mais pas rareté, car ces moments si intenses, dont parle Rollin, ne sont-ils pas présents dans de multiples aspérités offertes par le quotidien à celui ou celle qui, encore une fois, sa sensibilité en exergue, se rend capable de voir, sentir, toucher… la beauté infini du détail (des tailles……)

Piégé moi-même par la difficulté à dire avec des mots, je me rends bien compte pourquoi j’ai, par nature intuitive, fait appel à la musique pour exprimer l’indicible !
Il me semble que l’artiste cherche effectivement, mais confusément, avec ses moyens du bord, les outils dont ils disposent, à alerter du danger, à pointer du doigt vers la direction opposée; il jette des bouteilles à la mer…
Et c’est pour cela que je me sent en accord avec ce texte, que j’y réagi en écriture presque automatique, sans trop structurer ma pensée, afin que l’élan du cœur reste prédominant dans ce que ces quelques mots peuvent chercher à traduire. Ce qui est fou, et le texte de Rollin le dit bien, c’est que les mots, la littérature, la pensée, constituent une tentative superbe et incontournable, malgré tout, d’exprimer le sens de la vie !

La contribution de chacun, quel que soit son outil, artiste ou artisan, ne se résume t’elle pas au fond à un geste symbolique, une offrande à la beauté de la vie, un signe, une invitation pour quiconque s’en émeut à s’ouvrir, par effet miroir, à sa propre intériorité, jusqu’à découvrir qu’il porte en lui-même le but à atteindre…

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